A coteaux non tirés...

Publié le par Maldoror

Une plongée dans les eaux troubles d’une étrange conférence de presse.

C’est un frais matin de novembre. Lentement, les yeux tout ensommeillés, je grimpe les marches du Palais Brongniart. Il est 8 heures. La conférence de presse ne va tarder à débuter. Arrivé au 2ième étage, on m’introduit dans une grande pièce éclairée.

Là, une vingtaine de personnes discutent ; leurs mains s’agitent sur l’appétissant buffet mis à disposition. Cafés, jus d’orange, croissants et autres plaisirs colorés, trouvent rapidement preneurs.

 Il y a là des analystes financiers, costumes gris, cravates et sourires figés. Quelques journalistes aussi, l’œil terne et fatigué, entrecoupant chaque syllabes d’une gorgée de café. Et une senteur lourde et oppressante, qui virevolte parmi la petite assemblée : c’est Anne Sophie de la Ritournelle, la dir com’ du groupe de champagne Laurent Terrier.

Puis, une voix forte se fait entendre. Nous passons dans la pièce d’à côté et prenons place dans de confortables fauteuils. Au bout d’un quart d’heure, et quelques 30 retardataires plus tard, la conférence débute.

Sur une tribune, deux personnes en costume nous font face.

-Qualité des vins, qualités des hommes : c’est la clef de notre succès, déclame Yves Dumout, le PDG du groupe. Mais avant l’annonce des résultats, un petit film maison… Les lumières s’éteignent, un petit écran est tiré, les images apparaissent :

« Le groupe Laurent Terrier, une prestigieuse maison de champagne, since 1812, moderne et ouverte à l’international…….notre cuvée d’exception « Grand siècle »….élégance...sensualité…indépendance… ».

 Les lumières se rallument tandis que les rires s’éteignent.

 -Qualité des vins, qualité des hommes, telle est la clef de notre succès, répète le PDG, l’œil pétillant comme une bulle de champagne. Mais je laisse le soin à mon directeur financier de vous détaillez cet excellent 1er semestre 2006-2007.

Ce dernier, un homme gris et dégarni, jette un regard circulaire à la pièce, pendant que l’on nous distribue de jolies brochures, détaillant les résultats du groupe. La moitié de la pièce se vide, tandis qu’une voix monotone et terne, entame une lecture laborieuse…

 -Des questions ?, finit par abréger Yves Dumout.

 Grand silence. Les yeux se font tout ronds parmi l’assemblée. Dans un mouvement nerveux, le directeur financier enlève ses lunettes ; puis les remet, dans la seconde qui suit. Sa face blêmit, ses mains se tordent. Mais aucune question ne lui sera posée.

Le PDG étouffe un bâillement. L’assemblée aussi. La conférence s’achève.

 Une partie des survivants se dirigent vers le buffet. Du champagne a fait son apparition. Les conversations reprennent mais plus vives et plus fortes. Les visages se colorent. De nouveau, cette tenace odeur de « Chanel numéro 5 » enveloppe ce petit peuple du palais. Il y a là des analystes financiers, sourires crispés. Des journalistes aussi, l’œil riant.

 

 En descendant les marches, me mordant la lèvre, je repense à ces images vues sur le net : là, au milieu des coteaux, se dresse le domaine Laurent Terrier. Dans la cour d’honneur, au milieu des fleurs, apparaît une fontaine. L’eau jaillit du bas ventre d’un Chérubin de pierre, qui met les visiteurs en garde : « Ne buvez jamais d’eau ».

Publié dans Humeurs

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